Le monde est en proie à de profonds changements globaux, à une transformation à la fois matérielle, sociale, économique, technologique, scientifique et spirituelle. Comment pouvons-nous accompagner ce changement et lui donner du sens? Comment souhaitons-nous vivre sur les plans personnel et collectif ? Comment pouvons-nous tendre vers la construction de nouveaux paradigmes de sociétés et d’économies plus durables, inclusifs et équitables?

André Vanyi-Robin, Fondateur et CEO de Nozama Green

Aujourd’hui, je souhaiterais aborder, de nouveau, avec André Vanyi-Robin – entrepreneur franco-hongrois né à New York qui vit actuellement à Barcelone – les défis de l’entrepreneuriat et de la réinvention professionnelle, la question de l’échec entrepreneurial et de la résilience, et enfin, celle de la révolution numérique et son corollaire, le risque de déshumanisation. Nous avons co-écrit un livre sur l’échec entrepreneurial, He fracasado, y qué , il y a plus de six ans maintenant et je suis convaincue que les apprentissages partagés par André à l’époque pourraient être utiles face à l’accélération de l’effondrement des structures actuelles. Un effondrement qui nous oblige à consacrer plus de temps à l’introspection, au silence et à faire un examen approfondi de nos valeurs, convictions, croyances et de notre façon d’être, de travailler et de vivre. Une étape qui n’est pas exempte de douleur – bien que très libératrice – et qui peut favoriser l’émergence d’individus épanouis, plus autonomes, actifs et collaboratifs. Ce processus d’individuation constitue un maillon essentiel dans la construction d’un nouveau paradigme holistique. Dans cet entretien, interviennent également d’autres entrepreneurs afin d’alimenter cette culture du contraste, de refléter une diversité d’opinions et d’apporter des pistes de réflexion constructives : Felisa Palacio, Elisabet Bach, Pasqual Almudeve, Xavier Pont, David Tomás et Alfons Cornella.

Les erreurs sont une opportunité d’apprentissage
Notre plus grand frein culturel est la peur de l’échec. Nous devons promouvoir un changement d’attitude et repenser le système éducatif. La situation la plus dramatique peut devenir le point de départ d’une profonde transformation. Apprenons à rire des malheurs et dans le malheur. La différence entre ce que nous sommes et ce que nous voulons réside dans ce que nous faisons. Parfois, nous perdons notre temps à chercher des explications ou des réponses à ce qui nous arrive, mais la seule chose que nous pouvons obtenir, ce sont des expériences. Nous ne pouvons éviter des moments de grandes difficultés, de douleur, de souffrance, mais nous disposons toujours de notre libre arbitre pour décider comment y faire face et comment les transformer.

Le changement incessant constitue la nouvelle norme et ce qui est à venir ne ressemble en rien à ce que nous avons connu jusqu’à présent. L’économie mondiale doit faire face à des défis inconnus qui requièrent coopération, collaboration, flexibilité et rapidité. L’année 2020 n’a rien fait de plus que de mettre en exergue les problèmes non résolus (pauvreté, inégalités croissantes, dégradation de l’environnement, diminution de la biodiversité… ) et tout qui ne fonctionne plus, tant au niveau organisationnel que personnel. En effet, nous assistons, aujourd’hui, à l’essor d’une révolution numérique qui s’avère être indispensable pour créer de nouvelles sources de croissance, modifier la culture organisationnelle et faciliter cette transition. Cependant, il nous incombe, plus que jamais, d’éviter l’écueil de la déshumanisation car cette numérisation engendre une dématérialisation des interactions et des processus. Nous tendons facilement à oublier que la technologie doit servir les gens et qu’elle ne doit laisser personne de côté car elle a un impact indéniable sur les inégalités. Tout va très vite, il va donc falloir se positionner, plus tôt que plus tard, et faire un choix entre un futur transhumaniste fondé sur le concept d’un homme augmenté, dépossédé de sa souveraineté (corps, psychisme, esprit) ou celle d’un homme ayant intégré cette nouvelle réalité avec l’intelligence du cœur.

Nous vivons une crise sans précédent mais ces circonstances sont porteuses d’une graine de métamorphose très puissante. Rappelons que le mot crise vient du nom grec «krisis» qui signifie décision et c’est là que réside le paradoxe : toute crise porte le germe d’un changement, aussi douloureux et difficile qu’il soit. Dans He fracasado, y qué, André évoque les différentes facettes de la vie d’un entrepreneur et partage ses expériences de vie et ses émotions intimes avec une grande pudeur. Son leitmotiv : affronter ses peurs et ses problèmes afin d’y remédier. Ses réflexions concernent les différents aspects de la démarche entrepreneuriale : l’échec et la manière de le dépasser, l’autogestion de l’entrepreneur, la conception et la réalisation de nouveaux projets, l’intégration des apprentissages. Face à la destruction de l’économie, des petites et moyennes entreprises qui s’avèrent être indispensables pour le tissu entrepreneurial, l’augmentation de la précarité et du rôle de l’État-nation contrôlé par les grands groupes, quelles propositions de solutions peut-on apporter ?

Quel regard André porte-t-il à présent sur ces réflexions ? À mes yeux, il incarne l’essence même de l’entrepreneuriat, c’est-à-dire la capacité de s’explorer intérieurement pour mieux se comprendre et la capacité de croire pour « créer du sens ». Ce chemin vers la connaissance de soi n’est pas aisé mais il nous aide à définir ce qui nous passionne dans la vie, à prendre conscience de nos forces et de nos faiblesses afin de créer une vie, personnelle et professionnelle, en harmonie avec notre véritable nature. Aujourd’hui, après diverses expériences entrepreneuriales, André est le fondateur de Nozama Green, une entreprise qui s’engage pour le développement durable et la protection de l’environnement en proposant la récupération des emballages lors des livraisons à domicile.

André, comment définirais-tu l’entrepreneuriat ?

Quand j’étais jeune, mon grand-père me demanda un jour ce que j’aimerais faire plus tard. Je lui répondis que je voulais me réaliser et gagner ma vie en faisant des choses que j’aime.

Et cela dépend uniquement de nous, pas des autres.

Il y a quelques années, tu as écrit que l’entrepreneuriat consistait à « s’entreprendre soi-même ». Changerais-tu, à présent, quelque chose à cette définition?

« L’entrepreneur ne peut s’empêcher d’entreprendre car quelque chose en lui l’incite constamment à remettre en question tout ce qui l’entoure. Même s’il sait qu’il rencontrera de très nombreuses difficultés sur son chemin – à moins de bénéficier de ressources «faciles» provenant de la famille, par exemple, aspect que l’on retrouve souvent chez les entrepreneurs à succès -, il entreprendra tout de même, mû par un instinct puissant.

S’il n’entreprend pas, il ne peut donc pas se réaliser lui-même. Schumpeter 1disait déjà qu’à la base de l’attitude entrepreneuriale se trouve un certain hédonisme : l’entrepreneur recherche le plaisir de faire, et il s’ennuie lorsqu’il fait ce qu’il ne veut pas faire.

Alors oui, entreprendre c’est un peu « se faire soi-même », chercher ce qui donne de l’énergie et du sens. Mais parmi les entrepreneurs que j’ai rencontrés, bon nombre d’entre eux ont choisi cette voie car leur environnement les a poussés à le faire. Je crois sincèrement qu’il y a beaucoup d’entrepreneurs qui ne devraient pas entreprendre, car ils ne disposent ni de l’énergie ni de la résilience nécessaires pour endurer toutes les difficultés qu’ils devront traverser. »

ALFONS CORNELLA
FONDATEUR INSTITUT OF NEXT BY INFONOMIA, AUTEUR DE PLUS DE 30 LIBRES SUR L’INNOVATION ET LA TECHNOLOGIE POUR LES ENTREPRISES.

Face à cette situation économique sans précédent et face à tant d’inconnues, qu’observes-tu dans le tissu entrepreneurial espagnol : une adaptabilité ou plutôt une certaine passivité teintée de déni face au changement?

Actuellement, les entrepreneurs font preuve d’adaptation afin de créer des modèles d’entreprises pouvant s’intégrer dans la nouvelle ère. Celle-ci est, bien évidemment, dominée par la vente en ligne. Si auparavant il y avait encore quelques récalcitrants face à la fermeture des magasins, le Coronavirus et la réponse du gouvernement ont condamné les commerces de proximité et magasins ayant pignon sur rue. La réinvention est désormais vitale.

« On observe très clairement une adaptation des entreprises aux circonstances actuelles. La plus significative étant, à mes yeux, une évolution et une généralisation des projets numériques qui ont, définitivement, gagné du terrain par rapport aux projets traditionnels. La tendance actuelle, et future, passera par le développement d’outils et d’investissements numériques au détriment des environnements physiques. »

PASQUAL ALMUDEVE
Entrepreneur, CO-Fondateur DE MEMORYTECA, Avocat et consultant.

« J’observe les deux attitudes. D’une part, une réaction pour faire face à cette situation défavorable et la dépasser en faisant preuve d’ingéniosité et de résilience. Certaines entreprises ont réussi à surmonter cette situation et en sortent renforcées ; d’autres ont généré des revenus mais seulement pour couvrir partiellement leurs frais et prolonger leurs ressources financières afin de tenir jusqu’au retour d’une certaine « normalité ». D’autre part, j’observe une attitude qui consiste à attendre à ce que ça passe.

Cependant, le prolongement de cette situation se traduit par de la fatigue et de la peur chez les personnes qui espèrent s’en sortir mais qui voient leurs ressources financières s’amenuiser jour après jour.

Il est vrai également que l’incidence des effets de la pandémie varie selon les secteurs. Pour certains, créer de la demande relève davantage d’une réinvention sectorielle que d’une réinvention de l’entreprise au sens strict, comme pour les agences de voyage ou le monde du spectacle par exemple. Dans le cas des restaurants, certains ont opté pour la livraison à domicile – avec des succès complets ou partiels- .»

ELISABET BACH
ÉCONOMISTE ET CONSULTANTE POUR LA CRéation et la consolidation d’entreprises.

Comment affrontes-tu cette période d’incertitudes entrepreneuriales?

Il s’agit à présent de repartir d’une feuille blanche et de redémarrer tout à zéro en projetant la réalité que l’on veut vivre. Les préjugés sont des entraves qui nous empêchent de nous adapter à ce nouveau monde. Toute activité commerciale doit être abordée avec un regard neuf.

« J’aborde cette période avec un certain optimisme car je suis convaincu que de nouvelles opportunités vont émerger grâce aux fonds de reconstruction, d’une part, et à la technologie, d’autre part. Je suis très confiant car je crois en un rebond économique mais je suis surtout très optimiste en ce qui concerne les changements de paradigme et de mentalité. C’est l’occasion pour les entrepreneurs de démarrer de nouveaux projets. Parfois, les gens ont du mal à changer quand bien même de meilleures offres leur sont proposées. Mais la période que nous vivons peut justement favoriser de nombreux changements. Il nous incombe d’utiliser cette opportunité au mieux. »

DAVID TOMAS
CO-Fondateur de CYBERCLICK, AUTeur de DIARIO DE UN MILLENNIAL et DE LA EMPRESA MÁS FELIZ DEL MUNDO, BUSINESS ANGEL

André, pourrais-tu nous donner quelques exemples de préjugés que tu as abandonnés ?

Les trois préjugés les plus néfastes que j’ai réussi à exorciser sont les suivants :

  • occuper une position sociale à un certain âge ;
  • avoir une vie similaire à celle de mes amis ;
  • croire que la stabilité se trouve ailleurs.

Ces trois préjugés ne provoquent que douleur et souffrance. Il s’agit de réaliser et de comprendre que ce sont de fausses croyances qui ne reflètent en rien la réalité. C’est une étape essentielle pour passer de la survie au retour vers soi. Se libérer de ces préjugés vous permet d’acquérir la capacité à prendre du recul, puis d’apprendre de vos erreurs et de mettre en application les leçons apprises.

Les petites et moyennes entreprises ainsi que les commerces sont les entreprises les plus touchées par la crise. Ces entreprises «analogiques», contrairement aux entreprises technologiques, se relèveront-elles ?

Les entreprises «analogiques» sont vouées à disparaître. Nous nous dirigeons inexorablement vers un monde où tout doit être mesuré, y compris l’impact environnemental, et la digitalisation est indispensable pour y parvenir.

« Je ne suis pas totalement d’accord avec cette affirmation. ll ne s’agit pas seulement de technologie ou de vente en ligne mais de posséder une masse critique, c’est-à-dire un marché local suffisant. Par exemple, si vous avez un commerce dans une toute petite commune, il est vrai que le confinement municipal fait que les habitants achètent chez vous (en ligne ou dans votre commerce) mais cela ne signifie pas pour autant que vous ayez assez d’acheteurs pour aller de l’avant. En revanche, dans les communes un peu plus grandes, cela a pu jouer en leur faveur. Le confinement municipal a aidé le commerce de détail dans les municipalités ayant une population suffisante car celle-ci a acheté dans sa municipalité. Mais, dans les villes de moindre importance, le même confinement a nui au commerce local car il n’y pas assez de masse critique pour générer suffisamment de ventes, même si celles-ci se font dans les commerces de la municipalité. Les autres PME ont pu connaître des effets similaires en fonction de leur activité et de leur marché bien que certains secteurs aient bénéficié de la situation actuelle.

Je pense que les entreprises analogiques doivent être très conscientes du marché, des besoins de leurs clients et de l’apparition de nouvelles opportunités issues de ces circonstances.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’aspect technologique, je pense qu’il doit être pleinement intégré dans l’entreprise, depuis la visibilité sur le marché – de nos jours la présence doit être offline et online -, la possibilité d’acheter en ligne, la prestation de services, et aussi dans l’amélioration des processus internes afin d’augmenter leur productivité. Cela peut être une question de survie, mais la proposition de valeur doit passer avant la technologie. C’est-à-dire que l’entreprise doit répondre à la question suivante : comment pouvons-nous aider le marché? Et la technologie doit servir ce but. »

ELISABET BACH
ÉCONOMISTE ET CONSULTANTE POUR LA CRÉATION ET LA CONSOLIDATION D’ENTREPRISES.

Dans le livre « COVID-19: The Great Reset) », Klaus Schwab et Thierry Malleret prophétisent la disparition de 75% des restaurants et de commerces indépendants en France. Le virus sert-il de prétexte pour cacher la volonté d’éradiquer les petites et moyennes entreprises, libres et indépendantes, en faveur des grandes multinationales liées aux États ?

Il est vrai que les petites entreprises auront tendance à disparaître et les moyennes à être acquises, sauf en ce qui concerne certains secteurs d’activités très spécifiques. La réalité du capital est inéluctable. La crise économique touche toutes les trésoreries incapables de résister à des baisses brutales de chiffres d’affaires et à l’accumulation de pertes. Par définition, les grandes entreprises bénéficient d’économies d’échelle qui leur permettent de s’adapter aux circonstances, même si c’est en licenciant du personnel.

« La situation actuelle a accéléré ce qui se passe depuis une dizaine d’années, à savoir l’atomisation des acteurs du marché, la globalisation et l’apparition des firmes multinationales en grand nombre, la réduction des coûts et des effectifs, une meilleure stratégie de positionnement sur le marché des grandes entreprises… Je pense que le danger réside dans la terrible influence que peuvent avoir certains de ces grands groupes car leurs bénéfices dépassent le PIB de nombreux pays. Il s’agit donc d’une société dans laquelle les entreprises sont au-dessus des États et menacent leur souveraineté. »

PASQUAL ALMUDEVE
ENTREPRENEUR, CO-FONDATEUR DE MEMORYTECA, AVOCAT ET CONSULTANT.

« Je ne pense pas qu’il y ait nécessairement une volonté d’éradication. Au contraire, l’approche actuelle de « super-efficience», qui utilise la technologie pour être extrêmement efficace, nécessite des investissements (en ressources et talents) auxquels toutes les entreprises ne peuvent pas répondre. Dans chaque industrie, il y a quelques entreprises gagnantes «super-efficientes » et une kyrielle d’entreprises qui sont obligées de tout abandonner. En anglais, c’est l’expression « rich get richer ».

C’est le choix du court terme qui détermine le fait que seuls les « super-efficients » survivent. L’efficience est toujours une approche à court terme, tandis que la résilience l’est à long terme. De nombreuses petites entreprises pourraient être mieux positionnées pour durer sur le long terme (en raison de leur plus grande capacité d’adaptation et de leur notion de sacrifice), mais l’accent mis sur les résultats rapides, et à court terme, les détruit.

Il se peut également qu’il y ait un programme caché, un lien entre grandes entreprises et politique de l’État, qui finit par récompenser une élite très minoritaire. Tout indique qu’il en est ainsi, même si ce n’est pas en mon pouvoir d’en apporter les preuves.

Je ne sais qu’une chose : les idées qui transforment le monde proviennent, non pas dans des grandes entreprises, mais des talents entrepreneuriaux. L’inertie des grands groupes leur permet de continuer leur croissance, mais ces talents entrepreneuriaux ont de plus en plus de mal à survivre, seuls, sans ces grandes entreprises. »

ALFONS CORNELLA
FONDATEUR INSTITUT OF NEXT BY INFONOMIA, AUTEUR DE PLUS DE 30 LIBRES SUR L’INNOVATION ET LA TECHNOLOGIE POUR LES ENTREPRISES.

Face à la destruction des PME, essentielles au tissu entrepreneurial, existe-t-il d’autres propositions de solutions que la digitalisation des PME?

Non, nous sommes en 2021. Toute entreprise qui n’accélère pas sa transition numérique cessera d’exister d’ici 2025.

Comment accompagner les PME dans leur transformation digitale ?

« Aujourd’hui, on parle beaucoup de transformation digitale, mais peu de personnes savent comment développer cette culture numérique. De plus, étant donné que la technologie ne cesse d’évoluer, les entreprises doivent s’y adapter constamment. Je pense qu’il faut mettre en place une aide personnalisée aux PME dans ce domaine, en partant d’aspects pratiques. Par exemple, l’utilisation d’un certificat de signature électronique n’est pas une transformation numérique, mais c’est une première étape très simple qui va dans ce sens. C’est en franchissant ces étapes, une par une, que nous pourrons atteindre une culture de l’entreprise fondée sur le numérique.

Je pense qu’il est également important de se baser sur des exemples concrets de transformation digitale pour que les entreprises se familiarisent avec ce concept et ces nouveaux outils. »

ELISABET BACH
ÉCONOMISTE ET CONSULTANTE POUR LA CRÉATION ET LA CONSOLIDATION D’ENTREPRISES.

André, comment peut-on transformer l’expérience douloureuse d’une fermeture d’entreprise et lui donner du sens ?

Lorsque l’on échoue, l’attitude la plus courante est d’entrer dans un processus de victimisation et de blâmer les autres en utilisant l’argument « c’est injuste ». Les épreuves proviennent sûrement d’un ensemble de facteurs tels qu’une mauvaise définition des objectifs initiaux, un manque d’objectivité dans l’évaluation de la situation ou encore une profonde incapacité à accepter de l’aide. Aller de l’avant ne signifie pas nécessairement maintenir votre entreprise à flot en évitant les avertissements.

La fermeture d’une entreprise est une expérience traumatisante. Cependant, elle doit être vue comme un apprentissage pour que l’expérience ait du sens et soit utile avant de reconsidérer la possibilité d’en créer une autre. Chaque personne vit des circonstances différentes et doit peser le pour et le contre en se posant les bonnes questions : d’où est-elle partie, où souhaite-t-elle se diriger ? L’esprit de comparaison est inhérent à l’être humain mais il est essentiel de s’efforcer d’abandonner cette habitude néfaste car elle n’apporte que souffrance. En revanche, il est indispensable d’essayer de prendre du recul et de partager son expérience afin d’en tirer les conclusions idoines permettant de donner du sens à cette expérience traumatisante. On ne vit qu’une seule fois. Il n’y a aucune raison de ne pas essayer de gagner sa vie en faisant ce que l’on aime.

« La vie n’est pas linéaire, elle est circulaire. Accueillons simplement les événements qui se produisent et apprenons à vivre les émotions qui en découlent car ils font partie de l’expérience de vie et de l’expérience même de l’entreprise. Cette société a pris l’habitude de « produire » des croyances prises pour acquises. Or, la plupart d’entre elles se basent sur un concept de succès purement matériel ou lié à la position sociale et cela ne correspond pas à la réalité, il s’agit juste d’une croyance.

La vie d’une entreprise, tout comme celle de n’importe quel être vivant, passe par les phases de naissance, de croissance et de mort. La fin ou la mort d’une entreprise n’est pas la fin ou la mort des personnes, c’est une transformation des voies d’expression des personnes qui l’ont créée et développée. Si une entreprise s’est construite sur des valeurs de respect, de collaboration et d’humanité, alors ceux qui la dirigent et tous ceux qui l’ont façonnée continuent de « vibrer » ces valeurs et ces qualités qui pourront s’exprimer dans le cadre de nouveaux projets.

Ou bien désirons-nous contrôler la vie ? La fin d’un projet ou d’une entreprise permet d’expérimenter le détachement, la transformation et la confiance. De quoi avons-nous besoin aujourd’hui : du succès lié à l’argent, à l’ego ou bien du succès lié aux valeurs de collaboration et d’humanité ? »

FELISA PALACIO
entrepreneuse et DIRECTrice DEs REssources humaines et RSE TARANNÀ, VIAJES CON SENTIDO.

En septembre dernier de nombreux experts ont mis en garde contre une reprise des suicides. André, tu as connu la ruine à deux reprises et tu as traversé des périodes de profond désespoir et de perte de confiance en toi et en la vie. Comment se reconnecter à sa force intérieure, à la foi et à la bienveillance de la vie ?

La liste de mauvaises choses que l’univers peut nous envoyer est interminable. Mais il n’existe aucune force du mal qui travaille contre nous. Il y a simplement la vie. Et la vie est équilibre. Le bien et le mal. Les hauts et les bas. Ce qui est petit, ce qui est grand. Un bon jour et un mauvais jour.

L’effort conscient et volontaire de ne pas me comparer à mes amis, de ne pas comparer ma vie aux histoires publiées sur les réseaux sociaux et d’assumer le fait que je suis le seul responsable de ma stabilité m’a aidé à créer une bulle de protection au sein de laquelle j’ai pu me reconstruire. Parallèlement, j’ai continué à apprendre, à me former afin de découvrir où je pouvais créer de la valeur mais après avoir intégré, cette fois-ci, la conscience de ma propre valeur. Une fois cet aspect identifié, j’ai commencé à visualiser et à projeter l’avenir que je souhaitais vivre sans oublier les petits détails quotidiens qui sont à la disposition de tous : un bon café, une promenade, des instants partagés avec les êtres qui me sont chers …

« Nous pouvons nous (re)connecter à notre force intérieure, à notre foi ou à la bienveillance lorsque, dans le désespoir et la perte, nous ne perdons justement pas la foi, l’espoir ou la vision de vérité qu’est la vie. Lorsque nous traversons des moments de douleur et de crise, il est essentiel de vivre les émotions que l’on ressent sans s’identifier à elles, de les dépasser et de garder la foi. Après la tempête s’en vient le calme, cette expression nous amène à vivre la réalité actuelle avec transcendance et confiance car tout ce qui doit arriver arrive. C’est ce processus qui nous mène à ce qui est vrai, à notre ÊTRE véritable.

Faire confiance à la vie nous rend humbles et nous libère de l’idée que nous pouvons contrôler le résultat de nos actions. »

FELISA PALACIO
ENTREPRENEUSE ET DIRECTRICE DES RESSOURCES HUMAINES ET RSE TARANNÀ, VIAJES CON SENTIDO.

« Tout est une question de perspective. Lorsque vous traversez une période difficile, il est important de valoriser le fait d’être vivant, de pouvoir respirer, d’avoir un toit ou encore de pouvoir manger car, au bout du compte, il ne nous manque presque rien d’autre. À partir de là, il s’agit de commencer à voir ce que vous pouvez faire pour construire un projet de vie, pour continuer à évoluer par rapport à cet objectif et à ce que vous souhaitez obtenir.

La première étape consiste à apprécier ce que vous avez déjà, et la seconde d’avoir les idées claires quant à votre objectif de vie. Comme le soulignent Tony Schwartz et Jim Loehr, « Vivez la vie comme un sprint, pas comme un marathon. » En faisant preuve de patience et d’efforts, vous pouvez tout réussi. »

DAVID TOMAS
CO-FONDATEUR DE CYBERCLICK, AUTEUR DE DIARIO DE UN MILLENNIAL ET DE LA EMPRESA MÁS FELIZ DEL MUNDO, BUSINESS ANGEL

L’année dernière, le FMI a pointé la vulnérabilité économique de l’Espagne. Par rapport aux autres pays européens, il y a très peu d’aides économiques, étatiques et régionales en Espagne. Face à ce manque de soutien, comment est-il possible de promouvoir de nouveau la culture de l’entrepreneuriat et de se réinventer en tant qu’entrepreneur ?

Cela implique le fait d’aborder l’entrepreneuriat à partir des principaux moteurs de l’économie de cette nouvelle ère: durabilité, crypto-monnaies, Intelligence artificielle, logistique du dernier kilomètre, logistique inversée, vente en ligne, énergie propre, aérospatiale, développement humain, psychologie, artisanat, agriculture durable, services professionnels, programmation et éducation.

Ce qui change, ce n’est pas la fin des opportunités, mais le début d’une ère sans précédent de changements et de nouvelles opportunités. Si vous n’avez pas d’argent pour manger et nourrir votre famille, vous devez réfléchir à votre avenir afin d’intégrer dans votre routine quotidienne ces petits pas qui vous permettront d’aborder le métier ou la réalité que vous voulez vivre pour sortir du mode survie.

« Le plus inquiétant, c’est qu’en général, il existe un fossé entre les administrations publiques et le défi de l’entrepreneuriat. Si tu n’as jamais créé d’entreprise, et que tu méconnais les difficultés que cela comporte, il est absurde de penser que tu seras en mesure de légiférer ou d’appliquer une législation à cet égard. Je crois sincèrement qu’il y a un certain infantilisme de la part des administrations vis-à-vis des entreprises et des entrepreneurs. On fait systématiquement l’association suivante : entreprise = machine à sous et entrepreneur.

Le fait que très peu de parlementaires aient une expérience du monde de l’entreprise détermine complètement les actions publiques concernant la création de valeur par l’initiative privée.

Ceci dit, pour promouvoir la création de valeur et, par conséquent, l’augmentation de l’emploi, de grands projets de transformation devraient être lancés, financés par des fonds publics afin de stimuler l’émergence de nouvelles entreprises dotées de technologies innovantes. Par exemple, le lancement d’un macro-projet d’énergie verte dans les villes permettrait de mobiliser de nombreuses ressources et d’injecter des fonds dans les entreprises.

Par conséquent, je pense que la solution ne réside pas dans les aides mais dans les projets de transformation. Il faut des « drivers » qui aient un double impact: rendre la société plus efficace, égalitaire et durable, et le faire à travers des entreprises privées innovantes. »

ALFONS CORNELLA
FONDATEUR INSTITUT OF NEXT BY INFONOMIA, AUTEUR DE PLUS DE 30 LIBRES SUR L’INNOVATION ET LA TECHNOLOGIE POUR LES ENTREPRISES.

« Je crois qu’au-delà du renforcement des aides d’urgence, il n’y aura pas d’avenir en Espagne si le gouvernement essaie d’éteindre l’incendie en augmentant les taxes sur les activités économiques. Il serait plus logique de proposer une série de mesures pour assouplir les impôts des entreprises et des entrepreneurs. Plus la charge fiscale est faible, plus il y a de création de richesse et d’emplois. Cela permettrait de garantir la protection juridique des entrepreneurs afin qu’ils puissent entreprendre dans des conditions plus favorables. Sans celles-ci, la réinvention professionnelle ne sera pas impossible mais elle risque d’être très compliquée. »

PASQUAL ALMUDEVE
ENTREPRENEUR, CO-FONDATEUR DE MEMORYTECA, AVOCAT ET CONSULTANT.

« Le manque d’aide conduit chaque personne à se débrouiller par elle-même. Si la situation affecte l’entreprise de manière positive ou si elle est en mesure de trouver des opportunités, elle avancera sans avoir besoin d’aides supplémentaires. Mais il y a de nombreuses entreprises qui ne font pas partie de cette catégorie et qui supportent les coûts en s’endettant ou en épuisant toutes les ressources dont elles disposent.

Au fil des mois, certaines entreprises ont fermé leurs portes et leurs dirigeants ont soit fait table rase soit payé les dettes de l’entreprise car ils s’étaient portés caution de cette dernière. Le remboursement des dettes, dans les années à venir, va ainsi limiter la capacité à créer de nouvelles entreprises et à investir dans celles qui sont en activité. En effet, les ressources financières serviront essentiellement à rembourser la dette engendrée par la pandémie. Les subventions sont indispensables pour réduire cet impact au cours de la prochaine décennie.

D’autres pays ont octroyé des aides qui fonctionnent comme une assurance couvrant les frais fixes le temps que l’entreprise se remette d’un sinistre et puisse refacturer. L’impact est beaucoup plus rapide sur la récupération. Mais ce type d’aides n’a pas été appliqué en Espagne. »

Développer la culture de l’entrepreneuriat a des résultats à moyen et à long terme, ce qui retarde encore la période de reprise. »

ELISABET BACH
ÉCONOMISTE ET CONSULTANTE POUR LA CRÉATION ET LA CONSOLIDATION D’ENTREPRISES.

« Les périodes de crises sont également des périodes où les gens se lancent le plus dans l’entrepreneuriat. Lorsqu’on vit une crise économique ou une chute du PIB, nombreux sont ceux qui perdent leur emploi et traversent des moments difficiles. Mais ces circonstances peuvent favoriser la prise de risque et libérer des élans de créativité. »

DAVID TOMAS
CO-FONDATEUR DE CYBERCLICK, AUTEUR DE DIARIO DE UN MILLENNIAL ET DE LA EMPRESA MÁS FELIZ DEL MUNDO, BUSINESS ANGEL

Cette crise marque-t-elle la fin du capitalisme néolibéral ?

Non. Cette crise marque le début de la domination absolue du capitalisme néolibéral. Il incombera aux gouvernements de l’adoucir et de l’humaniser.

« Espérons-le ! Si la société ne se « réveille » pas face à l’urgence climatique et suite au choc du Covid, peut-être est-ce parce que nous ne méritons pas de continuer à vivre sur cette planète !

Nous avons besoin d’un nouveau capitalisme à triple impact, où les aspects sociaux et environnementaux soient au même niveau que les plans économiques/financiers. Les bonnes intentions ne suffisent plus tout comme l’élaboration de grands objectifs et de rapports annuels qui ne disent rien. Les fondamentaux doivent être modifiés : la comptabilité, les primes, la fiscalité, le droit commercial, etc. Ce n’est qu’alors que se produira un véritable changement. »

XAVIER PONT
CO-fondateur SHIP2B, AUTeur du livre TRANSHUMANOS.

L’idée n’est pas tout dans le processus entrepreneurial et une idée disruptive peut mettre du temps à être comprise par la société. Cependant, n’aurions-nous pas besoin maintenant d’idées nouvelles et révolutionnaires pour faire face à cette situation inconnue?

De nouvelles idées sont absolument nécessaires et naissent de l’analyse du monde et des industries qui font la promotion de l’économie. Le plus important est de susciter un dialogue avec des experts en industries pour aider à générer des idées et à les valider sans avoir peur de les partager avec tous. Celles-ci ne sont pas faciles à réaliser car elles nécessitent la combinaison de nombreux éléments et facteurs.

Mais au bout du compte, n’oublions pas que l’entrepreneur ou l’entrepreneur-innovateur est celui qui exécute l’idée au lieu de rêver de l’exécuter.

« L’idée n’est pas tout mais elle est importante. Mais plus encore que l’idée, l’essentiel est d’avoir l’esprit ouvert aux idées, c’est-à-dire d’avoir une grande capacité d’écoute et de savoir détecter les besoins. Si vous savez écouter, vous n’aurez pas à inventer une idée révolutionnaire qui triomphera dans vingt ans. »

DAVID TOMAS
CO-FONDATEUR DE CYBERCLICK, AUTEUR DE DIARIO DE UN MILLENNIAL ET DE LA EMPRESA MÁS FELIZ DEL MUNDO, BUSINESS ANGEL

L’intérêt des entreprises pour l’intelligence artificielle et la robotisation s’est considérablement accru. André, face à cette accélération de la technologie, comment favoriser la création d’entreprises technologiquement plus humaines ?

Le développement personnel est essentiel pour accompagner l’être humain dans cette grande étape de transition. Le coaching, le mentorat et les associations favorisent cet accompagnement et permettent à chaque personne de cerner plus clairement son rôle et ses objectifs de vie dans ce nouveau monde.

« En utilisant la technologie pour résoudre des problèmes importants de l’Humanité, pas en inventant des innovations inutiles. En ce sens, la médecine est un bon exemple, car elle est tournée vers la recherche de réponses aux problèmes de santé des êtres humains. Mais face à cela, on a les technologies de nos Smartphones, avec un certain nombre d’applications mobiles qui n’apportent rien, mais qui nous font perdre notre temps et notre énergie – déjà limités – tout en orientant notre attention sur le monde extérieur.

La technologie devrait à permettre à chaque être humain de tirer profit de ses capacités, de son talent, pas pour se démarquer de la concurrence mais pour se développer en tant que personne. La vie est extraordinairement courte et nous devrions tous nous concentrer sur l’ÊTRE plutôt que sur le FAIRE ou l’AVOIR.

Il n’y aura pas de technologie plus humaine si elle ne tend pas vers le développement des talents. »

ALFONS CORNELLA
FONDATEUR INSTITUT OF NEXT BY INFONOMIA, AUTEUR DE PLUS DE 30 LIBRES SUR L’INNOVATION ET LA TECHNOLOGIE POUR LES ENTREPRISES.

« L’avenir se situe au carrefour entre les technologies disruptives, l’entrepreneuriat et les défis sociaux. La biotechnologie, la robotique ou l’intelligence artificielle ont la capacité de résoudre de nombreux défis sociaux. Néanmoins, nous aurons toujours besoin de la « touche » humaine et de la politique pour certains défis.

En outre, la technologie a également le pouvoir de diriger la société.

Qui vaincra : les utopistes ou les « dystopistes » technologiques? »

XAVIER PONT
CO-FONDATEUR SHIP2B, AUTEUR DU LIVRE TRANSHUMANOS.

André, que t’inspire la citation d’Einstein : « Je crains le jour où la technologie surpassera nos interactions humaines. Le monde aura une génération d’idiots. »?

À mes yeux, soit la technologie met en valeur les qualités des gens, soit elle ne fait qu’exacerber leurs défauts. S’il s’agit d’une personne souhaitant travailler et ayant une vision du monde, la technologie lui permettra de développer encore plus ses qualités. La technologie doit accompagner et aider mais ne doit pas devenir un outil de substitution.

« Que nous y sommes déjà. Le nivellement par le bas est systématique dans nos sociétés, à la fois dans l’Occident «libéral» et dans l’Orient autocratique, est accablant. La télévision et les réseaux sociaux y sont parvenus.

Seul l’effort peut permettre de progresser. Or, au cours des dernières décennies, l’incitation à l’effort est la dernière chose que l’on a encouragée dans la société. Le succès facile et banal est glorifié, celui que la grande majorité de la population est capable d’atteindre.

L’échec scolaire, en particulier en Occident, est énorme. Et nous en verrons les conséquences dans les années à venir, avec le déclin de nos systèmes économiques et sociaux par rapport à l’Asie.

ALFONS CORNELLA
FONDATEUR INSTITUT OF NEXT BY INFONOMIA, AUTEUR DE PLUS DE 30 LIBRES SUR L’INNOVATION ET LA TECHNOLOGIE POUR LES ENTREPRISES.

André,ta nouvelle entreprise, Nozama, a intégré la philosophie de la consommation responsable et défend une série de valeurs écologiques, sociales et humaines. Que pouvons-nous faire pour que le développement durable soit l’axe transversal de tous les projets ?

La durabilité est l’axe de la croissance et du futur. Nozama aspire à fournir les outils numériques qui permettent aux entreprises de se développer sans polluer l’environnement. Pour que la civilisation progresse, elle doit croître économiquement mais afin qu’une telle croissance ne détruise pas la planète et avec elle l’humanité, elle doit être durable. Cette équation est incontournable. Amazon est le modèle de la croissance en ligne, Nozama représente l’inverse en faisant le pari d’une croissance durable.

« Le développement durable est nécessaire à condition qu’il instaure un nouveau modèle de vie. Le problème est que nous ne parlons pas, ici, de modèle de vie mais d’un modèle d’économie que l’on cherche à réparer en lui donnant l’apparence d’une conversion écologique. La planète est indéniablement en train d’épuiser ses ressources et le système de vie du monde occidental ainsi que le modèle agro-industriel sont néfastes pour la Terre et nous en sommes tous responsables. Mais il est vrai que la création d’un nouveau système économique durable instaurera encore le pouvoir et l’influence de groupes d’intérêts.

Ce qui m’indigne le plus, c’est l’impunité environnementale du pouvoir quant à la mise en œuvre d’une politique de développement durable car il ne s’agit pas seulement d’environnement mais de personnes, d’éthique et de transparence. Les premiers qui devraient appliquer ces mesures sont les gouvernements et les grandes organisations en mettant en évidence l’impact qu’ont leurs décisions et l’application de leurs lois et de leurs politiques dans la société, locale et mondiale. La société est-elle représentée dans le milieu fermé du pouvoir ? Cela devrait être une priorité, un droit de l’humanité. »

FELISA PALACIO
ENTREPRENEUSE ET DIRECTRICE DES RESSOURCES HUMAINES ET RSE TARANNÀ, VIAJES CON SENTIDO

La nature utilise la compétition pour créer l’harmonie tandis que la théorie darwinienne conduit à la destruction. Est-il utopique de penser que nous réalisons aujourd’hui que la coopération est un facteur plus évolutif que la concurrence ?

La coopération est essentielle pour la survie de la planète. Comprendre qu’ensemble, nous augmentons nos chances de nous en sortir est essentiel. Malheureusement, l’économie est structurée en une guerre d’intérêts au profit d’une minorité.

«Je ne pense pas que ce soit utopique, c’est un changement de paradigme. Avant on parlait de concurrence et maintenant de « coopétition » 2: parfois vous êtes en concurrence, parfois vous coopérez, mais il s’agit, avant tout, de trouver des synergies entre différents acteurs qui sont des concurrents. Chacun a son propre rythme mais il est indéniable que c’est dans la coopération que naissent les opportunités. Prenons l’exemple de Microsoft qui a profondément changé sa philosophie alors qu’elle a toujours été une entreprise très fermée en ne collaborant avec personne ; elle a même été accusée de monopole. Le livre du nouveau PDG atteste de ce changement et met en exergue l’importance de la collaboration. »

DAVID TOMAS
CO-FONDATEUR DE CYBERCLICK, AUTEUR DE DIARIO DE UN MILLENNIAL ET DE LA EMPRESA MÁS FELIZ DEL MUNDO, BUSINESS ANGEL

« Je pense que ce que nous savons, aujourd’hui, de l’évolution nous indique déjà que la collaboration est plus importante que la concurrence. Les espèces dont les membres ont collaboré ont survécu mais aussi mieux collaboré. Cela fait plusieurs années que j’explique que la concurrence est une forme de collaboration peu développée. Dans un environnement fondamentalement complexe, comme celui que dans lequel nous vivons, se concentrer sur la concurrence, c’est persister à ne pas vouloir comprendre qu’il est impossible d’avoir toutes les connaissances et les compétences pour répondre à la complexité. Nous ne pouvons pas résoudre le monde tout seuls.

Même si c’est une évidence, les gens et les organisations ne le comprennent pas forcément. Malheureusement, ce n’est que lorsque le changement climatique commencera à avoir un impact clairement négatif sur la vie quotidienne de centaines de millions de personnes dans le monde (en Occident et en Chine en particulier), que nous comprendrons que sans collaboration, sans la combinaison de talents et de ressources, il n’y aura pas d’issue possible. C’est ce que j’ai déjà écrit il y a quelques années dans mon livre La solution commence par co –»

ALFONS CORNELLA
FONDATEUR INSTITUT OF NEXT BY INFONOMIA, AUTEUR DE PLUS DE 30 LIBRES SUR L’INNOVATION ET LA TECHNOLOGIE POUR LES ENTREPRISES.

Télétravail prolongé, visioconférences … une nouvelle façon de travailler est en train de s’implanter et ouvrira la porte au débat sur l’évolution de l’emploi, la révision du concept de contrat de travail, le revenu de base, etc. Selon toi, André, ce nouveau paradigme professionnel sera-t-il un facteur de libération et d’innovation ou plutôt un outil de contrôle et une nouvelle forme d’esclavage ?

Je pense que si les entreprises se basent sur la réalisation d’objectifs et si ceux-ci sont atteints, il n’y a pas de limites à la façon dont les gens peuvent travailler tant qu’est maintenu le contact humain des réunions présentielles, non préservé par les visioconférences par exemple. Quant aux personnes/travailleurs, l’organisation et la gestion de leur temps est un point clé. Ils pourront découvrir comment en tirer le meilleur parti et avoir une vie plus productive et épanouissante en économisant le temps de trajet domicile/travail qui caractérisait la vie humaine avant le Coronavirus.

« Il n’y a aucun moyen de le savoir. Ce que je pressens, c’est une diminution de nos revendications concernant les droits du travail parce que nous serons prêts à tout accepter pour maintenir une vie à peu près digne. Évidemment, tout le monde ne sera pas dans la même situation, mais à mon avis, une partie de plus en plus importante de la population active ne pourra pas choisir l’emploi qu’elle souhaite et devra se contenter de ce qu’elle trouve. Il y aura un recul des libertés en échange du maintien d’une partie de notre dignité. Et l’émergence de machines «intelligentes» ne fera qu’accroître cette pression, en faisant disparaître de plus en plus d’emplois.

Le seul antidote à cette situation est une société dans laquelle chaque individu peut développer son talent différentiel … Mais je ne pense pas le voir un jour. »

ALFONS CORNELLA
FONDATEUR INSTITUT OF NEXT BY INFONOMIA, AUTEUR DE PLUS DE 30 LIBRES SUR L’INNOVATION ET LA TECHNOLOGIE POUR LES ENTREPRISES.

« C’est un grand débat. Aurons-nous une « Gig economy » (une réalité économique dans laquelle de multiples travailleurs indépendants et sous-traitants sont payés à la tâche et non au mois avec un employeur unique) avec une élite technologique privilégiée et une grande masse pauvre, sans emploi et ayant peu de droits? Ou bien s’agira-t-il d’une société technologiquement avancée avec une grande classe moyenne oisive bénéficiant d’un revenu décent qui vivra mieux que jamais? Mes pensées oscillent en permanence entre ces deux possibilités. »

XAVIER PONT
CO-FONDATEUR SHIP2B, AUTEUR DU LIVRE TRANSHUMANOS.

«Je pense qu’un monde de possibilités va s’ouvrir à nous mais plus en raison de la technologie que du télétravail. Désormais, les personnes qui peuvent ou veulent se former auront accès à de nombreuses opportunités. Avant, on conservait le même travail toute sa vie. À présent, et c’est valable pour chaque profession, celui qui n’apprend pas et ne s’améliore pas sera laissé-pour-compte. Il se peut qu’une partie de la population souffre des conséquences de la crise et il nous faudra, effectivement, trouver des solutions tel que le revenu universel. Mais globalement, pour ce qui relève du bien-être et de la qualité de vie, je pense que ce sera très positif. »

DAVID TOMAS
CO-FONDATEUR DE CYBERCLICK, AUTEUR DE DIARIO DE UN MILLENNIAL ET DE LA EMPRESA MÁS FELIZ DEL MUNDO, BUSINESS ANGEL

André, à quoi ressembleront les entrepreneurs de l’ère post-Covid ?

Les entrepreneurs voyageront beaucoup moins et seront encore plus flexibles lorsqu’ils travailleront avec leurs équipes, fournisseurs, clients et autres entreprises. Cependant, ils seront beaucoup plus exigeants du fait de l’absence de lieux de travail fixes ou de la flexibilité liée au télétravail. Il y aura, en effet, une pression plus forte pour atteindre les objectifs fixés dans la mesure où la partie « humaine » qui sert à justifier les «retards» ou les «erreurs» aura tendance à disparaître.

« Il y aura, je pense, autant de types d’entrepreneurs que de personnes. Mais ces futurs entrepreneurs devront avoir une bonne connaissance d’eux-mêmes, de leurs qualités et de leurs talents mais aussi de leur part d’ombre qu’il leur faudra intégrer. Ils devront également disposer d’une très grande capacité d’adaptation, de flexibilité et d’écoute et considérer leur travail comme une contribution à la société, et non pas seulement comme un fondement économique. Sincérité, authenticité et leadership conscient pourraient représenter des axes d’actions sans précédent. »

FELISA PALACIO
ENTREPRENEUSE ET DIRECTRICE DES RESSOURCES HUMAINES ET RSE TARANNÀ, VIAJES CON SENTIDO

« Sans aucun doute, plus numériques et plus tournés vers le social ! »

XAVIER PONT
CO-FONDATEUR SHIP2B, AUTEUR DU LIVRE TRANSHUMANOS.

« Je pense que le fossé se creusera entre l’entrepreneuriat d’opportunité – né de l’identification d’opportunités entrepreneuriales ou de l’attitude motivée et constructive personnelle de l’entrepreneur – et l’entrepreneuriat de nécessité répondant à un besoin, une insécurité ou une insatisfaction.

J’ai la sensation que l’entrepreneuriat d’opportunité continuera de bénéficier du même dynamisme, de la capacité d’innovation et de croissance qui le caractérisent.

Je crains que l’entrepreneuriat de nécessité ne naisse de situations précaires, dans l’urgence et le besoin de générer des revenus pour couvrir des frais personnels, avec un accès au crédit de plus en plus restreint. »

ELISABET BACH
ÉCONOMISTE ET CONSULTANTE POUR LA CRÉATION ET LA CONSOLIDATION D’ENTREPRISES.

« Plus scientifiques. Il n’y aura pas de place pour les innovations inutiles. Seul ce qui fournira une réponse claire, une solution à un problème pertinent, pourra prospérer. En ce sens, la science, avec les possibilités de découvertes qu’offre la Nature , a encore un champ immense à parcourir. Plus de science et moins de bêtises numériques. Du moins, c’est ce que j’aimerais voir arriver. »

ALFONS CORNELLA
FONDATEUR INSTITUT OF NEXT BY INFONOMIA, AUTEUR DE PLUS DE 30 LIBRES SUR L’INNOVATION ET LA TECHNOLOGIE POUR LES ENTREPRISES.
Regards croisés sur l’entrepreneuriat de demain, le nouveau paradigme du travail, l’apprentissage à partir de l’échec, la résilience, la révolution numérique et la déshumanisation.

Notas/Notes

  1. Joseph Aloïs Schumpeter(1883-1950) est un économiste et professeur en science politique autrichien naturalisé américain, connu pour ses théories sur les fluctuations économiques, la destruction créatrice et l’innovation. Selon lui, l’entrepreneur intervient constamment puisqu’il est le moteur de la dynamique du capitalisme, donnant vie au processus de « destruction créatrice » sur lequel repose le capitalisme.
  2. Coopétition(= coopération + compétition) est un terme créé par Barry J. Nalebuff et Adam M. Brandenburger en 1996. La coopétition est une collaboration ou une coopération de circonstance ou d’opportunité entre différents acteurs économiques qui, par ailleurs, sont des concurrents

Un avis sur « Regards croisés sur l’entrepreneuriat de demain, le nouveau paradigme du travail, l’apprentissage à partir de l’échec, la résilience, la révolution numérique et la déshumanisation. »

  • août 18, 2021 à 2:04 pm
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    Je profite du temps libre estival pour lire cet article, et : merci, merci, merci 1000 fois à Audrey pour cette lumineuse idée d’interview qui apporte un éclairage lucide et optimiste sur les crises de métamorphose que nous traversons tous, d’une manière ou d’une autre, nous obligeant à la confiance en nos capacités d’adaptation et de renouvellement. Merci infiniment à André Vanyi-Robin et aux autres personnes citées dans l’article, et encore merci à Audrey pour la qualité de ton blog et des personnes que tu y invites.

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